I - Les belles années
II - Fin du communisme et idéologie libérale
III - Le monde devient libéral
IV - Le retour de la géopolitique et les conséquences des dérives du libéralisme
V - Les conséquences géopolitiques
VI - Les conséquences en matière de décisions économiques et financières
VII - Les conséquences en matière industrielle : l'Europe en difficulté
VIII - Conclusion
Jusqu'au milieu des années 80, deux systèmes idéologiques se sont fait concurrence : le communisme et les démocraties capitalistes. Au sein de ces dernières, notamment en Europe, l'existence des partis communistes et socialistes influençaient les politiques économiques. Cette situation se répercutait sur le partage de la valeur ajoutée qui ne pouvait pas être trop inégalitaire. L'Etat, par ailleurs, intervenait pour éviter les crises économiques majeures (ce que l'on a appelé improprement le keynésianisme !) et pour apporter un minimum de sécurité aux plus démunis.
Par ailleurs, les conflits (guerres de Corée, d'Indochine, du Vietnam, crises de Berlin, de Cuba, etc...) obligeaient les Etats à maintenir des dépenses militaires élevées.
Cette époque était dominée par le bien-fondé de l'interventionnisme et influencée par les idées sociales-démocrates.
Les années qui suivirent la guerre de Corée furent marquées, en particulier aux USA, par une croissance sans inflation et l'existence d'excédents budgétaires (baisse des dépenses militaires). En revanche, à partir des années 70, les dépenses budgétaires croissent de nouveau très rapidement : programmes sociaux, conquête de l'espace, guerre froide. Les déficits budgétaires s'installent de nouveau.
En matière monétaire, la FED va laisser croître la masse monétaire ; le Gold Exchange Standard est abandonné en 1971. La grande inflation des années 70 est due à ces différents choix. La base monétaire américaine est passée de 30 Milliards de dollars à plus de 150 Milliards de 1950 à 1980.
II - La fin du communisme et le retour du libéralisme économique
L'arrivée de Margaret THATCHER, en 1979, puis de Ronald REAGAN, en 1980, et l'influence du monétarisme dans les grandes banques centrales font que de nouvelles politiques vont devenir partout dominantes ; ces dernières seront fondées sur les axiomes suivants :
- L'intervention de l'Etat (hors domaine militaire) est contre productive. Le marché est plus efficace et plus rapide que les fonctionnaires. La dépense publique doit être cantonnée aux missions « régaliennes » ;
- La redistribution est un puissant facteur de démotivation face au travail ;
- L'entrepreneur est la seule source de la création de richesse ;
- Le développement du commerce mondial donne un résultat où tout le monde est gagnant ;
- La création monétaire incontrôlée est la seule source d'inflation. L'arrivée au pouvoir des monétaristes dans toutes les banques centrales enclenche des politiques de réduction de la masse monétaire. En conséquence, de 1980 à 1993, on assistera partout à une baisse importante du taux de l'inflation ;
(On remarquera que la FED a bien géré ce programme, en ne cassant pas la croissance par une réduction outrancière de la masse monétaire M3 alors que la Banque de France par deux fois (1994 et 1996) impose des variations négatives.)
Ces politiques de ralentissement de la croissance de la masse monétaire vont entraîner une large baisse de l'inflation (à titre d'exemple, en France le taux d'inflation passe de 13 % en 1980 à 3 % en 1988).
Par ailleurs, les gouvernements dits « libéraux » vont diminuer les dépenses publiques. Aux USA, l'effort militaire (guerre des étoiles) freinera ce mouvement avant une réelle diminution des dépenses militaires après la chute du communisme (baisse des dépenses militaires US de 7 % du PIB en 1982 à 3,7 % en 2000).
Enfin, la promotion du libre-échange par les pays de culture anglo-saxonne à partir de 1990, époque où les anciens pays communistes entrent dans l'économie de marché, créera une source de croissance pour les pays en voie de développement grâce aux importations des pays industrialisés (en Grande-Bretagne, les importations passent de 10 % du PIB en 1958 à 32 % en 2000 !).
Il faut enfin ne pas oublier qu'à partir de 1995 la révolution technologique a permis, surtout aux USA et dans une moindre mesure en Europe, de compenser les délocalisations industrielles classiques. On verra plus tard que ce ne sera plus le cas !
Au sein de cette mondialisation accélérée, il y a ceux qui ont su en être et ceux qui se sont repliés sur eux-mêmes. Les réformes Thatcher ont permis à la Grande-Bretagne de profiter à plein de la mondialisation alors même que les rigidités sociales ont rendu la France plus perdante que gagnante.
En France, le secteur financier qui, dans le monde, a été très dynamique, a régressé ! Enfin, l'évolution comparée des taux de chômage sanctionne des pesanteurs économiques et sociales françaises (GB : 4-4 % - France : 9-10 % !).
Tous ces facteurs vont créer de fortes pressions déflationnistes dans les pays industrialisés. Il existe dans les biens consommés une part croissante de biens provenant de pays à faible coût de main d'œuvre et une part croissante de biens « high-tech » dont les prix baissent en permanence.
Les années 1990-2000 vont subir un développement accéléré de ces tendances car deux phénomènes vont jouer :
- L'effondrement du communisme, qui introduit dans l'économie de marché 4 milliards d'individus supplémentaires... On change de dimension. La liberté de circulation des hommes, des marchandises et des capitaux va devenir la règle du monde !
- La révolution technologique, en supprimant les distances, a transformé le monde en un vaste réseau où tout le monde est relié.
Mais la liberté de circulation sur une planète où la disparité des coûts et des revenus est élevée et connue de tous en temps réel ne peut que conduire à d'importants mouvements d'hommes et de capitaux. La fin du communisme n'a pas seulement engendré une économie de marché mondiale mais aussi un affaiblissement du socialisme dans son ensemble. Le rapport de force a été favorable au capital et défavorable au travail.
Dans un monde « protectionniste », où capitaux et hommes sont peu ou pas mobiles, les écarts de richesse sont élevés entre les pays et réduits à l'intérieur des pays ; dans un monde ouvert, les écarts sont faibles entre les pays mais importants à l'intérieur des pays par le jeu de l'égalisation globale des salaires. Il en résulte que les salariés à faible valeur ajoutée des pays dits riches voient leurs revenus baisser et le chômage s'aggraver.
Par ailleurs, dans un monde ouvert, les Etats entrent en concurrence pour retenir les investisseurs et les entrepreneurs. Les politiques économiques « gagnantes » sont celles qui offrent un cadre fiscal et psychologique propice aux entrepreneurs, aux entreprises et aux investisseurs. Les pays qui ne peuvent pas réduire leurs dépenses collectives et attirer des créateurs ont un problèmes majeur à résoudre : les actifs partent, les autres restent !!
Quand on a, comme notre pays, une tradition forte d'Etat-Providence, plus les transferts sont soutenus par une masse de gens (droite ou gauche) favorables à la dépense publique, plus cette politique devient insupportable aux créateurs économiques qui, s'ils partent, tarissent les recettes fiscales et le potentiel de croissance économique. Nous naviguons entre la fracture sociale et la faillite financière.
A partir de l'année 2000, les USA ont dû faire face à trois types de problèmes à la fois urgents et fondamentaux :
Les conséquences ont été un changement brutal de politique budgétaire ; les dépenses civiles et militaires vont augmenter plus vite que le PIB, entraînant un déficit budgétaire massif, l'administration fédérale cherchant à stopper les faillites et à compenser la faiblesse de l'investissement privé.
De même, l'Institut d'émission américain va mener une politique monétaire expansionniste en ramenant ses taux d'intérêt au niveau le plus bas depuis 50 ans (taux réels devenus négatifs depuis 2 ans).
Ce type de politique entraînait autrefois des pressions inflationnistes ; cette fois-ci les importations formant le quart des biens de consommation et d'investissement, il n'y a pas eu de poussée inflationniste car une partie de la création monétaire part à l'extérieur du pays par le biais du déficit extérieur. Les consommateurs américains achètent à l'étranger et les capitaux ainsi créés par l'Etat financent les économies du monde et de la Chine en particulier ! De ce fait, la croissance et l'emploi américains profitent peu des politiques monétaires et budgétaires actuellement menées.
Ce phénomène de « fuite » est accentué depuis peu par l'intrusion de la Chine dans le jeu mondial : elle est la première source de déficit commercial et elle détourne les investissements étrangers du sol américain (et européen).
Cela n'est pas sans poser un problème politique majeur car ce développement pénalise l'Amérique Latine (le Mexique en particulier) et va forcer l'Europe à repenser ses structures politiques et sociales.
Cela contraint les autorités budgétaires et monétaires américaines à développer des politiques plus expansionnistes que ce qu'elles auraient eu en temps normal. Les cadeaux fiscaux et les taux d'intérêt bas ont permis aux ménages américains de s'endetter de façon extrêmement élevée. Le taux d'épargne est à son plus bas niveau historique. La charge de la dette des ménages en pourcentage de leur revenu des ménages est passée de 14 % (en 1992) à 21 % (en 2004).
La question est substantiellement financière, voire monétaire ; l'Amérique n'est plus un prêteur en dernier ressort (Plan Marshall) mais un importateur de dernier ressort qui, en contrepartie, injecte des paquets de dollars dans les circuits mondiaux ; la gestion de cette immense machine est aux mains d'un conglomérat public-privé où l'on retrouve la FED, les fonds de pension, les grandes banques, les agences de notation... Poussant fort loin, les libéraux américains ont privatisé la gestion du système en allant jusqu'à privatiser la dette et la remettre aux citoyens américains ; on a institué le déficit privé (éternellement refinançable) comme moyen de relance de la machine mondiale : Américains, empruntez ! consommez ! Le réseau mondial des entreprises (américaines ou autres) produira en empruntant via Wall Street et ses filiales (Londres, Tokyo, Frankfurt, Paris, bientôt Pékin...). L'argent du monde entier (jusqu'à présent !) inonde les USA en contrepartie d'une frénésie d'achats de biens toujours plus fabriqués en dehors des USA. L'offre de monnaie (principe keynésien) est mondialisée et sa régulation le fait d'Institutions plus privées que publiques. L'intervention de l'Etat (déficit fédéral) ne se fait qu'en cas de retournement de cycle et pour financer une armée prétorienne qui veille sur l'énergie nécessaire au système (pétrole et atome) et traque ceux qui font peur aux marchés (Ben Laden et consorts).
A terme (mais quand ?), les ménages américains devront se mettre à épargner ; cela pourrait se réaliser de plusieurs manières :
- une inflation forte qui permet le rééquilibrage des bilans grâce à un transfert de richesses des créanciers vers les débiteurs. La croissance nominale (volume + prix) reste satisfaisante et la monnaie s'affaiblit.
Le prix politique à payer si on choisit la première est tel qu'il est probable que les pouvoirs politiques choisiront la seconde.
Mais, pour qu'il y ait inflation, il faut que l'on rééquilibre les comptes extérieurs. A ce titre, le problème que pose la Chine ne peut pas se régler rapidement par un ajustement des parités monétaires. Donc l'arme protectionniste sera probablement utilisée.
La simple application des politiques libérales a commencé à être remise en cause. Certaines contestations s'expriment par la violence, d'autres plus pacifiquement.
Mais ce qui peut changer les choses, c'est que la mondialisation commence à poser des problèmes économiques et sociaux aux Etats-Unis !
En effet, le libéralisme économique déroulé au travers du consensus de Washington impliquait plusieurs données :
- un monde ouvert............. L'OMC,
- un acteur central.......... Les USA.
A partir du moment ou par effet de taille (Chine, Inde... ) ou de regroupement (l'Europe) il y a plusieurs acteurs majeurs et ou les phénomènes classiques en régime capitaliste (production au moindre coût... donc délocalisation et vente là où se trouve la demande effective) portent atteinte aux liens sociaux, les Etats (malgré leurs faiblesses internes évidentes.... quel est le pouvoir réel d'un gouvernement, notamment européen, aujourd'hui ?) vont devoir sous peine de chocs sociaux très durs, se mêler de nouveau de la partie.
Il s'en suivra que les conflits entre pays ou blocs pourraient être les plus sévères dans l'avenir. Les rivalités entre nations ou blocs de nations, associées aux chocs culturels entre sociétés caractérisées par des valeurs sociales différentes, annoncent des jours difficiles avant que le Monde ne trouve un nouvel équilibre. Nous sommes à la recherche de nouveaux traités de Westphalie et ceci mettra du temps à venir. Les nations qui n'auront pas pris la mesure de ces enjeux verront leur influence et donc leur richesse se réduire.
Rien n'apaisera ces affrontements tant qu'une quelconque autorité internationale située au-dessus des Etats ne fera régner un minimum d'ordre. Or, le concept de souveraineté mondiale, malgré le droit dit d'ingérence (d'ailleurs comment s'ingérer en Chine !), n'existe pas et pour longtemps encore. Les grandes puissances chercheront donc à accroître leur domination au détriment des autres. Toutefois, cette anarchie ne débouchera sans doute pas sur des guerres entre nations ou blocs de nations, car la guerre est devenue trop chère et l'asymétrie entre capacités technologiques trop importante. Mais l'hyper compétition qui pousse les entreprises à recourir à des pratiques commerciales, parfois déloyales voire illégales, aidées par les Etats qui soutiennent leurs entreprises en mettant à leur disposition les ressources de leurs administrations (y compris leurs services de renseignement), continuera à se développer.
La guerre économique est omniprésente, elle reste cependant occulte pour le grand public... Elle va surtout être relayée par la guerre pour les ressources (pétrole, métaux... à titre d'exemple la présence chinoise discrète mais efficace en Afrique là où il y a du pétrole).
En revanche, les Américains ont été prompts à se saisir de ces questions et ont vite compris que les multinationales américaines exprimant l'expansion américaine ne peuvent pas être séparées des objectifs de la politique extérieure américaine. Le Général de Gaulle, au cours des années 60, avait tenté de limiter en vain l'accès des entreprises américaines au marché commun, esprit prémonitoire s'il en est ;
Il faut se résoudre à la réalité, le concept de puissance reste structurant, il s'agit de le redéfinir par rapport aux enjeux actuels.
C'est la capacité de déterminer ou d'influencer les structures de l'économie globale au sein desquelles les Etats, leurs entreprises et leurs experts doivent agir.
Un Etat ou groupe d'Etats influents doivent assurer la sécurité pour eux-mêmes et leurs alliés, avoir des moyens financiers et choisir le lieu et le contenu des activités de production, tant matérielles qu'immatérielles (usines et universités !).
Nous sommes entrés dans un jeu diplomatique multipolaire entre les Etats et les multinationales, les ONG, les mafias et les groupes terroristes...
Le rapport Carayon sur l'intelligence économique a le mérite de souligner les faiblesses françaises en la matière. Le challenge ne se limite pas à une réorganisation administrative. Il faut faire évoluer les mentalités qui empêchent une véritable réflexion sur la pensée stratégique française.
La mondialisation et les innovations technologiques ont transformé les délais et le mode d'application des lois économiques. Ces évolutions, mal comprises, sont source de peurs et d'erreurs de décisions.
Les marchés financiers portent en eux des mouvements contradictoires :
- des variations importantes d'une journée sur l'autre que l'on explique mal, ou d'explications qui se contredisent parfois dans la même semaine,
Depuis les années 90, la mondialisation et la multiplication d'innovations technologiques majeures sont plutôt en phase d'accélération que de ralentissement, et cela change non pas les lois économiques mais les espaces et les temps où elles s'appliquent.
A titre d'exemple, la masse monétaire des USA depuis plusieurs années n'alimente plus l'inflation interne mais se déverse dans le prix des actifs boursiers et immobiliers et en Chine (dans les prix).
Jusqu'au milieu des années 90, l'évolution de la masse monétaire était cohérente, avec l'évolution du PIB. Depuis la politique de la FED a toujours été stimulante mais la concurrence venant de l'extérieur empêchait les entreprises américaines d'augmenter leurs prix. Les liquidités se sont déversées dans les actions, dans l'immobilier et les obligations. En conséquence, quand les banques centrales seront restrictives, ce seront les prix des actifs qui baisseront.
Enfin, les organismes de régulation (FED, FMI, BCE... ) interviennent peu afin de laisser les marchés inventer les nouveaux équilibres. Le monde devient complexe, le pilotage doit se réapprendre mais en attendant on donne de la liberté afin que le système puisse trouver son équilibre (on notera ici une belle application de la loi de la variété requise en théorie des systèmes à l'économie de marché !).
En clair, les régulateurs officiels ne peuvent pas intervenir, car ils ne comprennent pas très bien ce qui se passe. On peut changer les statuts de la BCE pour lui donner un objectif de croissance et non de strict suivi de l'inflation, cela ne changera pas grand-chose !
... et la France ou l'Europe continentale !!
Le risque est important car nous ne sommes plus seuls au monde (je parle de l'Europe) avec les USA ; il y a maintenant les autres et les menaces géopolitiques (guerres pour les ressources naturelles).
Ce scénario peut être aggravé s'il y a conjointement une nouvelle flambée du pétrole et un ralentissement de la croissance (évènements politiques incontrôlables au moyen orient) qui entraîneraient un ralentissement en Chine (risque d'explosion sociale) et un déséquilibre des balances dollars ; à ce propos de la décision de Téhéran d'ouvrir une bourse en Euros pour les échanges pétroliers est une brèche dans le processus de circulation des dollars.
... Occupons nous de nos réformes et d'une Europe réellement organisée avant tout !